Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Au revoir là-haut [2013] de Philippe Lemaître

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Le ressort de l’intrigue est assez simple : une situation initiale décrite de manière pointilleuse, distingue un méchant d’un gentil, vite secondé par un adjuvant inespéré, avec qui le gentil va former par la suite le fameux duo improbable entre deux personnes que tout oppose.

Tous ceux qui ont passé un peu de leur jeunesse dans les pages poisseuses des Mickey Parade, reconnaitront en Pradel, le bel officier, et Maillard, le pauvre soldat, le dualisme posé entre Gontran, beau, sûr de lui et à qui tout réussi, et Donald, l’intègre malchanceux. Transposés habilement à la fin de la Première Guerre Mondiale, centenaire approchant (bravo, l’artiste !), l’enjeu dramatique n’est plus de savoir qui des deux la belle Daisy va choisir à la fin de l’épisode – sotte superficielle éblouie par le clinquant ou âme raffinée douée d’un regard perçant, capable de voir sous l’écorce de la balourdise la sève d’une vraie générosité ? (Tout ça pour des canards, hein…) –, mais qui la vie va faire gagner, au final.

Tout comme dans Mickey Parade – mais avec plus de cruauté puisque, quand même, on est entre adultes – le canevas est simple : la situation initiale construit un état d’injustice flagrant, qui va s’intensifiant jusqu’à devenir empathique et rageant, renforcée par une opposition de ‘classe’ riches donc puissants vs pauvres1. Lemaître rajoute tout de même un élément croustillant : les gentils s’avèreront malhonnêtes pour s’en sortir (et gouffre d’incertitude morale qui s’ouvre sous nos pieds.) Dès lors, la lecture est mue par cette envie irrépressible de voir se décanter l’histoire, même si on en devine d’avance l’issue. Et là s’ouvre à nouveau une énigme, pour moi, de la psychologie humaine, que j’appelle dans ma cuisine mentale, le « syndrome de Colombo ». On sait qui est le tueur, on sait comment Colombo va procéder parce que c’est toujours le même épisode répété un nombre industriel de fois, on sait bien que c’est une fiction gratuite, on sait tout… mais on a besoin de VOIR (savoir ne suffit pas) le plat déroulement de la trame jusqu’à la fin, pour que se ferme en nous une blessure ouverte artificiellement au début.Je ne nie pas avoir marché – et même couru – dans le piège tendu avec tant d’évidence, le style agréable, sans qu’on tombe en pâmoison non plus, aidant. Toutefois, au football, cette tragédie grecque moderne en plus grand (28 acteurs : un space opera !), avec plus de couleurs, des chants (un chœur de 67 000 voix au stade Vélodrome !) et des goûts de merguez, l’issue du match est indécise. On n’est jamais sûr de ne pas rentrer frustré, dégoûté, sans voix parce que l’OM a fait injustement match nul contre l’OL, à cause de cet e…tourdi d’arbitre, qui est le seul à n’avoir pas vu le ballon franchir la ligne blanche, le seul !, merde !!, dans tout le stade !!!2 Parfois on revient chez soi heureux, malgré tout, alors qu’on a gagné 1-0 contre le cours du jeu et sur un pénalty digne du plus beau plongeon ravanellien… (Tout ça pour un ballon qui n’a rien fait à personne, posé sur un terrain qui n’a rien demandé, hein…) Alors si Colombo est presque gratuit (prix d’une redevance annuelle, divisée par le nombre d’heures passées devant la boite à images), si un livre écouté en 15 heures ou plus sera d’un rapport temps occupé/prix largement plus favorable au livre qu’au match de football qui, lui ne dure que deux heures, pour la plus grande part d’indécision, pour l’intensité et la beauté du jeu, je choisis Marcelo Bielsa à Philippe Lemaître.

« PSG, PSG, …c’est toi qui feras la femme la prochaine fois qu’on soulèvera nos pulls ! »

Bande-son

Jain – Come

Notes

  1. Il y a bien une opposition père / fils qui n’est autre que la sempiternelle opposition Rive droite / Rive gauche, finance / art, idéologie bourgeoise / aristocratie et la sourde idée que l’argent ne fait pas (tout) le bonheur, mais c’est bien secondaire. Tout comme l’histoire d’amour : une incontournable respiration et la promesse d’un petit téton montré au milieu de toutes ces tombes, dans l’adaptation cinématographique envisageable. ↩︎
  2. Témoignage d’un match nul volé, le 14 mars 2015. ↩︎

Image d’entête : “Tête de cheval mort (Luis Fernández) – Musée national d’art moderne – Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou – Parijs” par Esther Westerveld


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