Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Ce qu’aimer veut dire [2011] de Mathieu Lindon

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« Que qui que ce soit veuille le moindre mal à Michel nous apparaitrait comme une injustice, une incompréhension de ce que devrait être les lois de l’univers. » C’est avec cette dernière phrase, sans doute la moins non-écrite de tout ce que je viens de m’infliger, que je décide mettre fin à ce foutage de gueule. D’autres iront plus loin que la page 115.

« Mais non, ça se fait pas, ça décolle peut-être juste après ! », me direz-vous. 115 pages c’est quand même long pour une entrée en matière et comme blague, n’en parlons pas… Je n’en avais rien à fiche les 70 premières pages, j’ai commencé à me trouver idiot de continuer ensuite, pourquoi consacrer plus de temps à ce qui devient du masochisme ? Et puis je suis déjà comblé, c’en est trop : j’ai appris que ces gens fabuleux jouent au mikado, prennent du LSD, tombent amoureux du premier inconnu qui termine la nuit dans leur lit, et mangent les gâteaux allégés des autres. Si Saint Augustin lisait ça, la vache de leçon qu’il prendrait ! Donc, oubliez le name dropping, oubliez que Mathieu est le fils de Jérôme, que vous avez probablement lu Hervé et Gérard un jour et que Michel est LE Michel Foucault du Collège de France devant qui tout le monde se prosterne, et ce récit, qui est ce que la caméra de surveillance est au cinéma, n’a strictement aucun intérêt. Ce n’est donc pas simplement une arnaque pitoyable qui est entre mes mains, c’est un nouvel exemplaire de « Ce que le mépris veut dire », œuvre collective dans laquelle les éditeurs rivalisent, soucieux de nous abreuver des témoignages navrants de tous ces gens géniaux qui ont la même vie que vous, mais à la différence qu’ils la passent au Quartier Latin. Et ça change tout. Prenez des médiocres et élevez-les aux rangs d’icônes parce qu’ils ont su s’épancher dans les bons bureaux, lancez sur le marché quelques « fils de » parasitant avec fatuité l’aura de leur(s) illustre(s) parent(s), et les petites gens vont se régaler de nos déchets consignés dans du papier-poubelle. Ces cons regardent la télé-réalité et lisent Christine Angot, de toute façon, on ne va pas leur filer des perles ! On dirait même que ça gagnerait des prix et ils avaliseront, ces andouilles de lecteurs.

« Mais c’est si mauvais ? », rajouterez-vous. « Ce sont des mémoires. Peut-être que ceci explique cela », tenterez-vous encore parce que vous croyez naïvement à la caution intellectuelle qu’apporte une maison d’édition reconnue à un texte. Oui, certes, donc pas forcément d’intrigue ni d’histoire à proprement parler, mais Casanova aussi raconte l’histoire de sa vie, et elle est au moins un peu plus variée que les turpitudes parisiennes très communes de Lindon et compagnie. Et puis le Chevalier de Seingalt a le foutre émouvant, vibrant encore de belles histoires, il assaisonne ces récits d’humour… Lorsque Jean-François Revel vous raconte une anecdote, il relie un souvenir à un autre, trouve une morale ou un sujet de réflexion à tout ceci, et sait élever son récit au niveau d’un texte enrichissant pour le lecteur tant sur le fond que sur la forme. Les 760 pages de ses Mémoires m’ont parues moins longues à lire que les 115 premières ici. le genre n’excuse en rien l’ennui pesant qui vous prend rapidement.

Et si tout ça vous laisse avec un arrière-goût de misanthropie, à qui en vouloir ?, vous demandé-je, puisque j’en ai marre de vous faire parler.
A l’auteur ? Non : un escroc qui réussit son coup est un artiste en son genre. Chapeau, Mathieu, tu as changé cette ordure en or pesant et trébuchant, c’est la classe !
A l’éditeur ? A moitié. Il gagnera peut-être des sous avec la crédulité des gens (la mienne y compris) qui ont acheté ce papier noirci, pour financer d’autres livres qui valent le coup. Relire Bernard Mandeville pour se convaincre que la bêtise humaine a son utilité sociale. Mais d’un autre côté P.O.L. perd le bénéfice du doute que je lui accordais, et quand cette industrie de la foutaise pompeuse viendra pleurnicher que son activité n’est pas viable parce que les gens ne lisent pas assez, il faudra avoir gardé l’ouvrage (qu’on trouvera désormais trop fin, il n’y avait pas d’autres inepties à raconter ? Mince.) pour l’éclater par la tranche sur la tronche pleurnicheuse des cuistres en question.
La critique ? On peut la montrer du doigt, qui n’a pas le courage de dire franchement que ce pauvre enchaînement de phrases de collégien sexuellement précoce n’a aucun intérêt ni littéraire, ni même comme témoignage pour ceux qui ont apprécié l’auteur des Mots et des Choses et qui voudraient jouer les voyeurs tardifs.

Un seul point m’a tout de même réjouit à considérer la nullité de ce truc : après Che Guevara et les autres révolutionnaires aussi théoriquement grandioses que pratiquement inutiles, qui ont tous été pris à revers par la société de consommation à coup de marketing pour rebelles postmodernes, voilà que Saint Foucault est pris à son tour dans une partouze nécrophile où tous ses épigones veulent prendre part. On publiera bientôt ses notes de blanchisserie, comme il eût fallu éventuellement le faire pour Nietzsche, d’après le Maître [« Qu’est-ce qu’un auteur », Dits et Ecrits, I, p. 822]. Il suffit de relire quelques lignes de ses  et de les comparer avec ce petit condensé d’onanisme scripturale, pour voir l’injure que l’association entre son nom et cet hommage empoisonné lui fait. Qu’est-ce qu’une œuvre ? se demandait le philosophe. Si les mémoires publiées de ses amis et amants en font partie, ceci est peut-être une pipe posthume mais en tout cas c’est assurément un beau pied de nez à celle-ci.

Bande-son

“Historia de un amor”

Quelle belle chanson découverte en famille ! (Il fallait bien sauver cette page avec quelque chose de beau et de bien plus intéressant que cette arnaque insultante.)

Photo d’entête : “Lesbian & Gay Pride (111) – 28Jun08, Paris (France)” par philippe leroyer


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