Fragment de célibat adultérin

…je n’y pris du goût que parce que le crime était une espèce d’assaisonnement qui me rendait doux et agréable ce que j’en mangeais.

Saint Augustin, Confessions

Nous n’avions pas moralement le droit d’être en couple, parce que nous vivions ensemble sous le même toit et qu’il fallait épargner à d’autres d’avoir à tenir la chandelle. Nous n’étions pas non plus censés nous connaître bibliquement. Mais il a bien fallu reconnaître que nous nous désirions. Nous étions célibataires. Nous n’avions pas moralement le droit d’imposer la vue de notre liaison aux tiers qui vivaient avec nous et notamment celui à qui tu plaisais, toutefois nous pouvions goûter aux délices du secret sans craindre la tristesse d’un conjoint trahi. Aussi nous avons été dignes, entiers, discrets, respectueux, nous aimant (oui, un peu, je crois) à la barbe de tous sans qu’ils ne voient rien. Je garderai à jamais le souvenir de ces instants où tu me retrouvais tous les soirs pour des 23 à 8 que nous volions en cachette, de cet interdit que nous bravions sans faillir à la morale, de cette cachotterie que nous pouvions faire tout en nous regardant dans le miroir le matin, de ces risques que nous prenions et qui étaient énormes et qui passaient inaperçus !

Je me souviens que notre colocataire me parlait de toi, envisageait de te séduire et que moi, le confident, je gloussais de mon forfait, de ma ‘vengeance’ par anticipation1, de cette version complète de l’histoire que j’avais et dont il ignorait tout2.

Et je suis parti loin – il fallait que je parte, c’est d’ailleurs bien pour cela que nous nous sommes jetés à corps perdus dans une incartade de trois semaines.

Aucun des deux n’a rien dit aux autres, après coup, même lorsqu’il y eut prescription.

Tu t’es mis ensuite avec un type qu’on m’a décrit comme une grande gueule, un kéké, un poseur. J’étais aussi passé à autre chose, mais j’aurais préféré pouvoir estimer à distance celui qui m’avait succédé dans tes bras et ton cœur3. Tu fus un amour de vacances à la maison. Une rencontre d’étapes de voyage à domicile. Une passe mutuelle à l’œil que nous avons prise à cœur. Je n’aurais pas le goût de l’adultère si nous nous recroisions. J’aurais trop envie de te laisser avec ton gars comme Diogène condamnait les habitants de Sinope à rester dans leur ville. Il y a d’ailleurs des milliers de kilomètres entre nous. Et plus que des kilomètres.

Tout a été comme une bonne blague, que nous avons su terminer à temps, et même pour ça, j’ai aimé notre couple éphémère.

Bande Originale de la Bulle : PJ Harvey & John Parish – “Black Hearted Love”

En-tête : “A book you finish reading is not the same book it was before you read it.” par Kainet.

Notes

  1. Lui non plus n’avait pas le droit d’être avec toi et de me faire tenir la chandelle, mais, lui, ne serait pas gêné !
  2. Je garde tout de même de cette porte cachée dans la réalité, le goût du doute : si nous avons pu jouer ce tour au milieu des évidences, lesquelles nous échappent, à nous, ou nous ont échappées ?
  3. Si, si, il y avait de la tendresse entre nous ; cette nuit où nous nous sommes retrouvés pour un pique-nique sous la pleine lune, à la faire rougir pendant que nous lui montrions la nôtre, fantasme dont je t’avais parlé et auquel tu m’avais invité, tu avais des sentiments, rappelle-toi.