Je ne chanterai pas la Marseillaise, je ne m’effacerai pas derrière le drapeau français

Facebook nous tire vers le bas

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Facebook croit sans doute bien faire, Facebook est malin. En proposant à ses utilisateurs de mettre un voile bleu blanc rouge sur les photos de profil, il nous pousse à réagir de la manière opposée à celle qui devrait être la nôtre. On ne sait d’ailleurs pas exactement ce que cela veut dire. Un hommage aux morts ? Sommes-nous si peu sûrs de notre solidarité et de notre empathie que nous ayons besoin de les afficher aussi ostensiblement ? Contrairement aux discours convenus voulant que l’individualisme gangrénerait nos sociétés modernes1, l’homme de plus en plus urbain n’a sans doute jamais été aussi sociable. Et d’autant plus qu’évoluant dans des sociétés ouvertes à l’échelle des grandes villes ou de l’Europe dont il peut désormais rejoindre n’importe quel point à peu de frais, il peut choisir ses groupes avec facilité et sans crainte puisqu’il peut les quitter sans être lié à eux à vie. Nous nous flexibilisons mais notre sociabilité va bien, merci pour elle.

Est-ce pour soutenir un modèle français ? Nos valeurs ? Lorsque Nicolas Sarkozy s’est essayé à définir l’identité française, on s’est aperçu de la dangerosité de ce questionnement et que l’idée de République-même est dangereuse dès lors qu’on essaye de lui donner un contenu positif. Tous les collectivismes ont toujours eu l’idée d’un modèle de société assez précis qu’il fallait imposer au groupe sur lequel il exerce leur « monopole légal de la violence ». Dans une démocratie libérale – cette chose-là qui est mise à mal lorsqu’on tire sur des gens occupés à user de leur « liberté des Modernes » pour s’attarder à des choses aussi futiles que de boire à une terrasse, de danser à un concert ou de voir un match de football – on ne peut que définir des règles négatives, des interdictions, charge à chacun de se choisir une façon de vivre.

Or, en incitant les gens à adopter tous le même comportement, facilite l’expression et flatte nos instincts de troupeau.

Non au repli tribal

Nous voyons des sortes de minutes de l’amour et de la compassion se mettre en place, qui ne sont pas sans nous rappeler le Meilleur des mondes de Huxley, 1984 d’Orwell ou cette « organisation de l’enthousiasme » que décrivait Elie Halévy2 et qui est le lot de tout totalitarisme. Certes, Facebook est un site privé et on ne peut imputer à ses propriétaires la volonté politique de contrôler les masses. Avec sa fonction “safety check” permettant de rassurer tout le monde3, le site cherche à ses rendre indispensable en développant ce type de fonctionnalités ; c’est de bonne guerre, et contrairement à la propagande étatique, on a le droit de ne pas ou plus utiliser ce réseau social. Pourtant à voir ce site à l’heure où beaucoup de ses ‘amis’ sont uniformisés par ce même symbole de reconnaissance, on ne peut éprouver qu’une grande tristesse. Nous voilà aussi variés et colorés qu’une rue iranienne après la révolution de Khomeiny, nous libérant de l’odieux shah.

Et alors, non content d’avoir tous revêtis ces couleurs, nous chantons la Marseillaise. Nous redevenons nationalistes à la bonne franquette à l’heure où cet échelon politique a de moins en moins de sens.4 Et surtout pas à ce moment : on le voit bien ce n’est pas tant la France pour son implication dans les bombardements sur l’Etat Islamique qui est visé, c’est un modèle de société. Les terroristes ne font pas de différences entre la France et la Belgique lorsqu’ils préparent leurs attaques. Le combat que doit mener l’homme libre n’est même pas un combat contre une version violente de l’Islam. Les juifs laïques de Tel Aviv ont aussi leurs soucis avec les orthodoxes de Jérusalem. Vladimir Poutine n’est pas le dernier à brouiller les frontières entre une idée politique et une identité chrétienne orthodoxe de la Russie. Les évangélistes américains qui ont révélé les noms des utilisateurs d’un site d’adultère, au nom de leurs valeurs morales choquées par de telles pratiques, n’en sont pas encore à prendre des armes pour purifier leur pays de la débauche et de la décadence, mais… Les idées raciales n’ont plus le vent en poupe, et si nous n’avons le droit qu’à quelques pitreries de gens en mal de médiatisation, tous ses replis communautaires, même (ou surtout) en réaction à des attaques communautaires, peuvent toujours réveiller ce genre de thèses… Depuis que les communistes, parfois déguisés sous mille masques nouveaux (écofascistes, féministes sextremistes, etc.) , ont vu leur dernier espoir d’« autre  monde possible » terminer dans l’échec fracassant du Venezuela de Chávez, ils se font misérables, mais, tapis dans leur grotte, qui sait quand et d’où ils reviendront en force ?

Une concurrence des internationalismes

Au début de la Deuxième Guerre Mondiale, les communistes refusaient cette guerre « bourgeoise » entre nations et préféraient chanter l’Internationale à la Marseillaise. Un internationaliste libéral ne peut que les comprendre. A la seule immense différence que les premiers voulaient imposer un grand collectivisme sans frontière, ne passant que des alliances tactiques avec les nationalistes selon les besoins du moment, alors que l’internationalisme libéral développe pour modèle …une absence de modèle.

Il y a bien des institutions communes qui doivent être mises en place lors de phase de mondialisation5 mais une fois créé le cadre politique des échanges commerciaux, culturels et de population, rien de plus n’est prescrit au sein du cadre. Ainsi, lorsque c’est le monde libre qui est attaqué, il n’y a pas d’hymne à opposer, il n’y a aucun supranationalisme qui remplacerait les échelons inférieurs mais un foisonnement créatif. Notre hymne peut tout aussi bien être « La vie en rose » d’Edith Piaf chantée par Madonna, qu’un anglophone et un francophone qui entonneraient “My way” / « comme d’habitude ensemble », un tube hispanophone qui nous a fait danser tout un été, ou n’importe grand air de musique connu partout dans le monde.

Friedrich Hayek décrivait le socialisme comme une « hydre » intellectuelle, puisqu’à peine vous aviez démontré la fausseté de telle pensée ou l’inefficacité de telle mesure, d’autres apparaissaient dans un combat sans fin et toujours un peu perdu d’avance puisqu’entre le moment de l’apparition de la thèse ou de la mesure et sa réfutation intellectuelle ou en acte, s’écoulait toujours un certain laps de temps. Il renonça ainsi à répondre une deuxième fois à Keynes, qui changeait régulièrement d’avis, à la parution de sa Théorie générale et s’en mordit les doigts plus tard lorsque les trois décennies suivantes furent keynésiennes. Après l’Anglais, nombre d’autres penseurs ont repris le relais de cette légèreté intellectuelle travestie sous les masques rhétoriques de la liberté d’évoluer ou d’un spontanéïsme de la pensée, Michel Foucault le premier. Mais ces gens mettaient la frivolité et un pluralisme de façade au service de mêmes idées, au final, toujours aussi dangereuses. Nous autres, libéraux conscients ou libéraux de facto, mettons au service de la vraie pluralité, de la culture insaisissable car toujours innovante, de la diversité des modes de vie, des bouleversements technologiques répétés car rendus possibles par une science anarchique, des idées vieilles datant du XVIIIème siècle6 dont des penseurs au XIXème siècle ont repris le flambeau et qui nous parviennent encore au XXIème malgré un XXe un peu trop oublieux de ces préceptes.

Qu’est-ce qu’on leur oppose alors, à ces tristes bonhommes au drapeau noir ? Rien ? Non, tout.
Tout ce foisonnement qu’ils n’ont pas ! Ce n’est pas en leur présentant un front uni d’où aucune tête ne dépasserait qu’on les battra, mais parce que protégés par des institutions dont nous sommes fiers (comme l’état de droits ou le libre marché) nous aurons des milliers de visages différents à leur opposer ! Nous sommes ainsi insaisissables !

16 novembre 2015. (Ce texte était d’abord pensé pour un Webzine ami, avant d’être mis simplement ici, d’où le fait qu’il soit un peu redondant avec le texte précédent)

B.O.B.

Serge Gainsbourg – Aux Armes Et Caetera (La Marseillaise)

Photo d’entête : “bending in the light : liquid painting, scott richard, san francisco (2015)” par torbakhopper.

Notes

  1. Hormis pour la place des personnes âgées dans la société, la charge de la preuve est du côté de ceux qui font ces affirmations aussi gratuites, surtout à l’heure de l’économie du partage.
  2. L’ère des tyrannies. études sur le socialisme et la guerre, 1938.
  3. Que j’ai vu apparaître lors du grand tremblement de terre au Chili à la mi-septembre 2015
  4. Il reste l’échelon de la métropole qui est primordial car il concerne nos vies quotidiennes et pose des problèmes très concrets de vivre ensemble puisqu’il ne concerne pas le Riche et le Pauvre avec des majuscules, le Blanc, le Noir, le Beurre ou les autres en leur généralités mais des populations précises, vivant dans des quartiers nommés et toute une population qui se déplace, des aires de calme et de bruit à définir, une gestion de l’espace urbain, etc.
  5. Consensus de Washington, FMI, etc. dont on peut toujours critiquer l’action.
  6. Hayek n’a jamais prétendu rien d’autre que de réactualiser les idées fondamentales des Lumières anglo-écossaises