Les Quatre accords toltèques

Tout Français qui a été un tout petit peu studieux en Terminale ne peut pas décemment pas aller jusqu’au bout de cette niaiserie vaguement ésotérique. 1

Flottent dans cette bouillie de petits riens, ici trois pages qui glosent sur un concept ou une idée sociologique simple, là, au contraire, un pseudo terme technique en espagnol pour que la cruche puisse faire son intéressante et faire croire qu’elle a l’accent espagnol en rajoutant simplement un son ‘é’ à la fin de son mot2. Le livre alterne assez habilement platitudes battues en neige et évidences drapées de mystère pour que ça ait l’air de dire autre chose que des truismes, avec des jolis mots comme ‘rêve’3 qui rappellent à l’éternelle adolescente ses poèmes lycéens, quand les garçons débordant de désir lui assuraient que pour avoir vaguement fait des rimes pauvres saupoudrées de « candélabres », « lumière », « nuit », voire un bel oxymore pour les plus exaltées, elle était la réincarnation de Rimbaud avec une paire de seins succulents, qu’ils se promettaient d’honorer dans le plus beau des cultes aux chiasmes du Désir Universel et des Energies Gaïatiques, eux-mêmes ayant même élaborés un recouille de poésitions kamasutriques qu’il rêvaient de tester avec elle.

Les exemples sont insultants de bêtise et d’un humour tout à fait involontaire, comme le fait de dire à son ami qu’il a une peau couleur de cancer et que celui-ci ait un cancer dans l’année.4

Le décorum de chamanisme de carton-pâte est aussi crédible qu’un péplum qui prétendrait vous donner des leçons d’Histoire5, et les dieux doivent se sentir insultés d’être convoqués à cette agape pour déchets anthropologiques, cette génération Netflix, tatouée, elle-même élevée par les premiers résultats de l’abrutissement général commencé dans la seconde moitié des années 1960, et qui sont les rejetons des déchets, donc, aussi plats que leurs omni-écrans… devenus idiots au point de goûter ceci et de s’en faire un festin.

J’avoue ne pas avoir été jusqu’au bout mais avoir pu, en survolant les chapitres suivants, en tirer tout le miel sans même déranger les abeilles : deviens qui tu es sans te soucier des autres, règle ta vie sur le juste et le bon tout en restant droit, le bien vaut mieux que le mal, éloigne-toi du méchant, achète le second tome de mes révélations éternelles et nouvelles à la fois, fais tout sans excès mais avec franchise et tu seras heureuse.

Le succès de livres mielleux et fades comme les Musso et les Lévy peuvent encore assez s’expliquer, qui proposent un canevas d’histoire d’amour assez classique, dans lequel l’être misérable peut s’évader de sa vie métro-boulot-baise minable-dodo. Harlequin, France Loisir, etc ont fait leur fonds de commerce de cette tristesse sublimée-là. Bref, ce genre d’opium ou de soma se conçoit assez bien. Idem pour le roman à intrigue. Mais les succès de ce genre de bouquin, repris par des femmes pourtant pas sottes (cf. plus bas) ou censées soigner les gens, est plus intriguant. Il n’est pas le seul, sans doute – et je ne suis pas désolé de ne pas savoir ce qui se vend dans le domaine de la littérature pseudo-philosophique ou feel good – mais il est avec les Nuances de Grey, succès planétaire de 2015, un signe de la déréliction intellectuelle de l’époque.

Je suppose que le public de ce papier toilette parfumé au parfum de fleur Flûte de Pan (“El condor pasa” ?), doit être composé à 80 % d’utérus épuisés ou à jamais vides (ce qu’elles pleurent malgré toutes les dénégations de mauvaise foi). Je vois bien son pendant masculin dans les élucubrations de Deleuze et Guattari ou Bourdieu, voire Foucault. Le Qu’est-ce que la philosophie ? des premiers ou l’ensemble de l’œuvre du second – hormis Questions de sociologie ou Les règles de l’art (ne serait-ce que pour les analyses sur Flaubert) – m’avait laissé ce même arrière-goût de fumet de merde aromatisée dans la bouche, légèrement honteux d’avoir mangé ce plat avarié en m’étant laissé prendre par les belles couleurs de l’assiette, que j’avais hésité à me faire charlatan moi-aussi pour vendre mes diarrhées au colorant synthétique, comme beaucoup font dans l’université

J’ai préféré faire des petits crachats misérables comme celui-ci, qui disent en creux des poèmes à la Raison, qu’on lit la nuit à la lumière étrange et obscure des candélabres de la Vérité.

Femmes chamanisées dans mon entourage

L* – la trentaine bien posée, qui me l’avait prêté, psychologue brillante, fine, intelligente, drôle et pertinente, mais finalement aussi folle que ses collègues et un rien moins que ses patients ; une erreur de parcours, je pense ; je lui ai laissé de notre relation Les Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, elle y a gagné.

Flo* – qui me faisait un cours d’ésotérisme en fumant des joints, à chaque fois, avant de m’inviter à transpercer sa peau tout en blancheur et tatouages, dans un corps assez informe finalement bien que très jeune (22-28 ans ?).

S.N. dite S.W. – que je ne nommerai pas puisqu’elle essaye de se faire une clientèle pour son activité de sophrologie / coaching en réussite. Petite chenille insipide et totalement plate à 17 ans, devenue une trentenaire matérialiste avec des seins et un enfant pondu/abandonné par un mec qui avait une belle voiture et un bel appartement, puis une très belle femme (une vraie très belle femme) mais totalement nulle tant moralement qu’intellectuellement.

Jo* – la trentaine déclinante, totalement brisée et ayant un besoin maladif de séduire, pourtant douée d’une rare justesse d’écriture et de beaucoup de bon sens, et même de valeurs si la société n’était pas un vaste dépotoir à relations manufacturées et jetables.

Cla. R. – mettre son doigt à couper que cette fille assez géniale (en beaucoup de points identiques à Jo*, sa possible grande sœur de dix ans, mais totalement ignorante en philosophie et en politique – comme Jo*, elle n’avait pas fait d’études, mais contrairement à Jo* ce fut pour se consacrer à un enfant –, ce qui l’amène à être plus brillante dans la vie que bien des universitaires, mais dupe de n’importe quelle arnaque qui traine par là), l’a lu et adoré (déjà qu’elle trouvait que les 50 nuances de Grey étaient le fin mot de la psychologie féminine et une description phénoménologique du désir féminin…).

B.O.B.

Notes

  1. Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres pays, mais ils peuvent aussi lire des essais sans avoir eu un cours de philosophie en Terminale.
  2. Faudrait pas lui donner du latin à la pauvre, ce serait risquer la foulure de neurones – ouf que Skippy était Mexicain !
  3. Ainsi nous vivrons dans un rêve collectif propre à chaque société ou à chaque époque… ou du sous-Borges frelaté bien moins philosophique que ce que pouvait faire l’aveugle Argentin…
  4. Si, si, véridique, p. 39 – oui, il décrit un effet nocebo, et bien il suffit de dire cela : trop souvent nous dépendons du regard des autres, et ceci peut avoir des effets auto-réalisants, pas la peine d’emberlificoter la tambouille Tex-Mex.
  5. Que viennent faire les Toltèques dans cette galère ? Une réminiscence des Cités d’Or et de leurs fameux Olmèques ?