Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Mr Nobody, un film qui va nowhere

Le

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En réalisant un film sur l’impossibilité de choisir et la difficulté de supporter sur ses épaules l’ampleur des vies possibles sur lesquelles chaque décision peut ouvrir, Jaco van Dormael a, avec Mr Nobody, au moins été cohérent avec son sujet.

En effet, probablement incapable de se contenter de réaliser ou un film d’amour classique avec désirs contrariés et happy end larmoyant, ou de science-fiction profond avec effets spéciaux très beaux, fou encore de donner à son histoire la teneur d’un conte philosophique comme pouvait l’être L’effet papillon (2004) de Eric Bress et J. Mackye Gruber, le belge aura réalisé un méli-mélo souvent pénible à suivre1. A avoir la prétention de mêler genres et tons en un même tout, et sans réussir à ce que la pâte se fluidifie vraiment lors de ce film d’au moins une demi-heure de trop, on se retrouve devant un flot de grumeaux d’où surnagent quelques incrustations pseudo-scientifiques alourdissant un labyrinthe sans rythme, sans logique apparente2, qui semble ne jamais commencer mais surtout … ne jamais finir ! Que retenir alors des ces quelques propos intempestifs sur l’effet papillon, la réminiscence, la théorie des cordes, la réversibilité du temps, les réflexes pavloviens ?3 A défaut de donner une caution scientifique4 à l’enchevêtrement de ces trois vies vécues (ou très probablement rêvées par un enfant sommé de choisir sur le quai de la gare de Chance entre vivre avec son père ou sa mère5) et leurs variantes respectives6, ils plombent un film et le ralentissent encore. Bien que l’impeccable Jared Leto s’échine à sortir le spectateur de l’ennui profond dans lequel il est plongé, malgré le potentiel scénaristique énorme d’une histoire fantastique que des J.L. Borges ou Leibniz auraient pu rêver d’écrire, et bien qu’irréprochable dans sa technique, c’est le sentiment d’un grand gâchis qui domine largement à la vue du résultat quand tout ceci s’enlise inexorablement dans les ramifications de chacune des vies avec les trois voisines que le petit Nemo fréquentait dans sa petite enfance :

Les trois femmes de Mr Nobody (Festival de Cannes 2009, photo Nicolas Genin)
  • avec Elise (la fille en bleu, vie chez son père), éternelle dépressive avec qui il aura trois enfants, nous assistons à une vie épuisante, terne, triste, finissant par le départ de celle qui n’aura jamais pu se soigner d’un amour de jeunesse avec un type pourtant violent et bête — pensez-vous vous en être sorti par cette fuite, que nenni, il faudra encore assister à quelques longues bribes de la nouvelle vie de celle-ci, coiffant, dans le théâtre imaginaire de Nemo, le vieil homme dont elle admire la photo d’antan, sans le reconnaître (sniff, sniff, c’était l’effet chenille) ;
  • avec Jeanne (en jaune, vie chez son père), qu’il choisit un soir où s’il s’était promis de faire de la première fille qui danserait avec lui sa femme, son (in)existence sera un morne repos, du temps perdu rangé dans une grande villa et un costume étouffant de bon père de famille : on ne lui souhaite que la mort pour abréger ses et nos souffrances, et puis lors de son interminable accident de la route, nous voilà à regretter sa vie ;
  • (Enfin) avec Anna (en rouge, vie chez sa mère), fille du compagnon de sa mère avec qui il entretiendra une vraie passion faussement « incestueuse » et finalement déchirée par la rupture du couple adulte, nous assistons à la seule véritable vie qu’il valait la peine de vivre … et de filmer, même si elle est d’une facture tellement classique au cinéma que même un bon public n’arrive pas à se voir soutirer quelques larmichettes.

Au final, pour les amateurs de fantastique et de science-fiction, je conseillerais donc plutôt d’aller vite acheter l’intégrale de l’inégalable La quatrième dimension et de laisser de côté ce film sans corps, malgré toutes ses bonnes intentions et le travail patient qu’on aura pu y apporter pour le saturer de détails significatifs. Pour les amateurs de mélo, revoir Quand Harry rencontre Sally, Bright star, Le patient anglais ou tout autre film du même genre : ce n’est pas le choix qui manque (prévoir plus qu’une pièce de monnaie pour (se laisser) choisir, le dé à 20 faces minimum s’impose…). De la puissance à l’acte, le génie a parfois besoin de quelques coupes bien choisies à opérer, et ce qui est riche sur le papier est parfois pauvre sur l’écran. Dommage.

Bande-son

R.E.M. – Drive

Notes

  1. Dans le même genre de films trop longs et mal montés à partir de matériaux épars comme le 2046 de Wong Kar-War. ↩︎
  2. Oui, bien sûr, c’est bien le parti-pris, mais encore faut-il que ça « prenne »… ↩︎
  3. J’ai eu beau chercher je n’arrive toujours pas à comprendre le pourquoi des premières images sur les pigeons qui finissent pas s’imaginer que c’est eux qui poussent les expérimentateurs à les nourrir… ↩︎
  4. A tester sur un public de collégiens ou de lycéen, éventuellement… ↩︎
  5. Tout le film ne serait ainsi qu’une longue adaptation de l’histoire qu’avait imaginée Borges en 1943 dans la nouvelle « Le miracle secret », aujourd’hui publiée dans le recueil Fictions. ↩︎
  6. Et que dire des différentes morts auxquelles on assiste jusqu’à trois fois ! ↩︎

[Texte initialement publié dans La Catallaxine, le 6 avril 2010]


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