A s’en taper la tête sur les Quatrième murs

Je tombe plusieurs fois sur des bafouilles babeliotes, de personnes souvent de sexe féminin, qui me font réagir sur ce Le quatrième mur, que j’ai tant apprécié. Toutes ne me font pas réagir mais deux ont réussi à me faire taper sur mon clavier.

 

Une fille de passage

La première qui m’a fait réagir était “une fille de passage” ,  qui écrit quelques lignes sur le Quatrième mur de Sorj Chalandon, et peut, en très peu de mots pourtant, écrire des fadaises comme l’idée que ce serait un

hommage à la pièce d’Anouilh, Antigone[,] et au pouvoir politique du théâtre. Pouvoir de provoquer le dialogue entre les acteurs, les spectateurs et éventuellement l’auteur. Et pouvoir d’amener plus de compréhension, plus de connaissance de l’autre, et par là, le théâtre comme arme de paix …

Pourtant l’actrice musulmane de la pièce, qui n’est d’ailleurs jamais jouée, est retrouvée égorgée et le personnage principal est tellement fidèle à la pensée idéaliste de son ami, qu’il retourne au Liban mener un combat dérisoire, arme à la main, qui ressemble à un suicide. Comment ne s’est-elle pas dit qu’il y avait ‘hommages’ plus appuyés ? Certes, toute la première partie est censée amener le lecteur à adhérer au projet du « Juif pacifique », pour le sanchopanzifier, lui faire éprouver les mêmes idées qu’on retrouve dans les discours grotesques tenus par l’Elite Culturelle Parisienne et relayées par les petites mains de l’Education Nationale, sur le pouvoir de la Poésie, des Idées, du Théâtre et autres niaiseries pontifiantes qu’on aime se raconter dans les salons feutrés de la République, entre deux colloques et trois petits fours.

Pourtant, il semble lui avoir échappé qu’il y a un basculement dans le texte, pour mieux détruire, à gros coups de lourdes bottes de réel, toutes ces bêtises. Manquait-il une balise LOL ou un smiley clin d’œil à la fin de la « première partie » pour que ça soit encore plus clair, malgré la sourde mise en garde du Prologue ? L’aspect pédagogique de la « deuxième partie » était-il encore trop fin qu’elle l’ait raté et n’ait pas compris la futilité de cette Antigone, pièce éponyme où, d’ailleurs, une jeune sotte est éliminée par un homme de pouvoir qui souligne les ridicules de la « petit maigrichonne » et sauve la cité de la guerre civile, malgré les pleurnicheries mièvres de ceux qui s’étaient laissés attendrir par la sœur du traitre ? Fallait-il encore plus explicitement signifier que détruire le quatrième mur, c’était retourner les sièges et montrer que les acteurs sont en fait les spectateurs, que la farce jouée c’est surtout celle des théâtreux, aux cerveaux intoxiqués par l’opium des mots et des phrases toutes faites, qu’ils ne s’aperçoivent plus qu’ils sont sur les planches d’une comédie pathétique pendant que les faits et le réel les regardent en se marrant ? Et que, vraie ou fausse, exagérée dans un but didactique ou pensée par l’auteur, c’était ça la leçon du texte ?

Cette personne, qui n’a pas l’air stupide et même plutôt bien câblée, a tout de même compris que c’était

aussi un grand roman sur l’amitié, entre un Juif pacifique et idéaliste et un Français révolté contre l’inégalité et le rejet de l’autre, un homme fragile, vacillant, qui sombre peu à peu dans l’horreur, subjugué par la violence et happé par la guerre.

Et de conclure ces quelques appréciations par :

Tout simplement époustouflant.

Ce que je lui accorde.

Par contre, lorsqu’on lui parle de rond jaune en dénonçant le fait que les carrés bleus n’existent pas, elle y voit une ode aux carrés bleus. Ce pouvoir des lunettes bienpensantes sur sa lecture, la petit-chaton-tout-mignonisation de l’intellect de certains de nos contemporains qui leur fait voir autre chose que ce qu’on leur montre, ça c’est stupéfiant…

Une Babeliote oubliée

La deuxième s’indignait du fait que le roman était trop dur et présentait une réalité qu’elle ne voulait lire. Voici ma réponse, que je n’ai pas publiée sur le site, non par lâcheté, mais parce que je ne voulais pas créer de débat et que je n’avais pas envie de perdre du temps à polémiquer, ni l’agresser, d’ailleurs. Bon, du coup, je m’auto-cite :

Ce roman montre comment un petit révolutionnaire de pacotille découvre la réalité du monde et n’en revient pas, au sens propre (et sale à la fois). Il fallait montrer la violence, et il n’y a ici aucun voyeurisme malsain, pour qu’elle contraste la naïveté initiale du Parisien imbécile qui n’avait jamais vu le fascisme en face. Il fallait parler de Sabra et Chatila pour que, peut-être, vous vous en souveniez la prochaine fois que vous regarderez l’Eurovision dans le pays qui a été derrière cette horreur et qui se dit aujourd’hui une démocratie, avec une armée « la plus morale du monde » et qui n’est qu’une colonie raciste avec un régime d’apartheid et qui n’en finit pas de tuer à ses frontières. Il n’est donc pas simplement question d’une fiction pour occuper le.a bourgeois.e désoeuvré.e, mais de donner une leçon à la petite électrice fragile, lui demander de connaître un peu la réalité au lieu de se détourner les yeux parce que la guerre c’est cro cro méchant, caca boudin. Parce que si elle n’est pas prête, dès qu’on la violente – et les attentats servent aussi à ça – elle accepte toutes les lois liberticides, toutes les guerres iniques et toutes les alliances répugnantes qu’on lui propose.

Que vous détourniez les yeux et préfériez regarder des choses plus jolies, soit. Vivez dans votre bulle. Mais vous avez le droit de vote, voilà qui est plus gênant…  

Il y a peu de temps en Indonésie, les tremblements de terre ont tué et dévasté l’île. Je regardai le journal chez mes grands-parents (je me respecte, je n’ai pas la télé) et je voyai un reportage sur des grosses touristes en train de chialer parque leurs vacances étaient fichues et qu’elles ne savaient pas ce qui allait se passer pour elles dans les prochaines heures. Dernière phrase du reportage : « pendant ce temps, les Indonésiens pleurent leurs morts. » D’Indonésiens on en n’avait pas vu un seul : de la merde d’esclaves négligeable qui peut crever quand elle ne sert pas les mojitos. Mais on avait passé cinq minutes sur des connes qui vont dans un pays pour se croire les reines pendant deux semaines en trouvant plus pauvres qu’elles et acceptent tout le reste de l’année. L’indécence est aussi dans ce regard détourné, madame.

Photo d’entête : “Cassius no se ha ido :: Cassius hasn’t gone :: Cassius n’a pas disparu ::: 20160602 3586” par Oiluj Samall Zeid