Tous les soleils de Philippe Claudel

Tous les soleils, film de Philippe Claudel qui sortira demain [30 mars 2011], nous conte avec une légèreté estivale, la vie d’un strasbourgeois d’origine italienne, aussi veuf que professeur de musique baroque, qui vit avec sa fille adolescente en train de devenir femme (c’est-à-dire pleinement pénible), ainsi qu’avec son frère, cloitré dans l’appartement en robe de chambre et pyjama, végétant depuis son exil volontaire loin de l’Italie berlusconienne, en attendant l’obtention espérée de son statut de réfugié politique en France.

En attendant le délit d’hypersexualité médiatisée

Peut-on se voir attribuer un statut de victime lorsqu’on refuse d’être représenté par le plus illustre obsédé sexuel qu’ait connu l’Italie, faisant de Rocco Sifredi et Casanova des petits joueurs ? Peut-on s’estimer personnellement suffisamment menacé par l’omnipotence d’un politicientrepreneur, parce que, outre faire le jour et la nuit dans les medias du pays qu’il possède en grande partie, il s’occupe pendant son temps libre à sauvegarder la diversité des pratiques sexuelles, introduisant notamment en Europe la pratique du Bunga-Bunga1, et œuvrant ainsi au rapprochement fraternel des cultures méditerranéennes ? Corruption, magouilles et pédophilie auront peut-être un jour raison de la carrière du chef d’Etat. En attendant, les Droits de l’Homme ne font pas de la satyriasis assumée un crime contre l’Humanité. Pas plus que l’usage décomplexé et impudique de sa droite dure n’est récriminé lorsqu’on veut contracter des alliances charnelles avec les parties les plus politiquement incorrectes de quelques jeunes aspirantes à des promotions canapé, pourvu qu’elles soient majeures. Haïr Berlusconi n’est pas suffisant pour faire valoir des droits particuliers, et l’Italie reste encore un Etat de droit. Débouté, l’opposant s’ébat alors stérilement en fomentant des micro-révolutions « à la Cantona », … mais avec un rien plus d’efficacité que le second. Ce qui ne l’empêche pas d’être réduit, dans son impuissance, à lancer piques grinçantes et fléchettes dérisoires sur une cible à l’effigie du botoxé honni, … lorsqu’il ne soigne pas ses pulsions négatives en regardant des séries abrutissantes ou en chatant sur des sites sexy qui émoussent ses ardeurs politiques tout en émoustillant ses sens.

La culture contre la société du spectacle

Avec ce personnage, tout droit sorti de la tradition du cinéma italien, parasite attachant ou sorte de bouffon moderne, Claudel arrive ainsi a distiller – mais sans le manichéisme laborieux et grotesque du dernier Klapisch -, un peu de critique sociale, qui reste à l’image des volutes virevoltantes de la musique thérapeutique baroque qui accompagne le film : subtile, drôle, et libératrice. Son ironie sans aigreur y trouve ainsi toute sa force. Pourtant, au milieu de la comédie familiale, la tragédie des honnêtes hommes dans la société actuelle parait complète, dès lors que les “réfugiés”, reconnus ou non, se retrouvent même reflués en marge de la terre d’asile. En effet, la France trempe elle aussi dans les travers d’une réalité télégénique ravie par son avidité sans pudeur et où les phares du peuple assument sans fard leur peoplisation. Surtout depuis qu’elle a à sa tête un flambeur exhibant montre et femme, comme un parvenu pavane devant les mâles dominés envieux, aussi moqueurs que prêts à jouer le même jeu dès qu’ils en auront l’opportunité.

Seul l’anachronisme salvateur de la culture demeure un refuge au milieu de cette société du spectacle qui a colonisé jusqu’aux domaines réputés sérieux. Cautériser sa tristesse et la morsure de l’araignée du souvenir avec des lignes mélodiques venues de siècles enterrés, soigner l’esprit par l’évasion de la fiction ou la mélodie de la poésie lorsque le corps flanche, la médiation de l’art est ainsi comme un remède aux maux les plus prosaïques qui atteignent les individus, et à cette société qui se gausse de ses propres bassesses. A côté de passages plus mélos qui ne marqueront pas forcément l’historie du cinéma, on rit alors beaucoup à l’occasion de cette satire qui peint une époque vautrée dans la concupiscence, où les cons illettrés peuvent être (tout-)puissants, et où lire La Princesse de Clèves constitue un besoin d’hygiène mentale comme un acte de résistance. On y pénètre aussi dans l’intime beauté des rues de Strasbourg et l’on admire la douce poésie de Clotilde Courau. On aurait préféré l’inverse. Mais que pouvait-on attendre d’un pauvre réalisateur qui n’arborait même pas de Rolex à son bras lors de l’avant-première ?

[Texte initialement publié dans La Catallaxine, le 29 mars 2011]

B.O.B. :  « Luna Lunedda » (Pizzica) – La Tarantella

Photo d’entête : « Le soleil des aspérités. » par  Daniel

Note

  1. Aujourd’hui menacé d’extinction en Lybie !