Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Tout est très bien dans nous trois ou rien

Le

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On avait adoré cette bande de trentenaires, révélée au grand public par la fraicheur et le rythme effréné de la série “Bref.”, qui narrait en alternant fantaisie et drame, les affres d’un Parisien patachon. On a aimé retrouver les différents acteurs en solo sur scène et sans doute le temps de passer au format long et sur le grand écran, était arrivé pour cette bande là. Non sans risque.

Kheiron – l’ami imaginaire éponyme du narrateur de “Bref.” –  a choisi de raconter la vie de ses parents, militants politiques pris dans les troubles de l’Iran des années 70, lorsque le pays troquait, pour la plus grande désillusion des démocrates, un shah contre un félin islamiste sans doute pire encore que celui qui avait filé. Une série de petits sketchs efficaces et aux dialogues justes, alternent avec des moments où la musique prend le relai, quand il serait verbeux d’en dire plus, et tout cela tisse ensemble le fil d’une histoire, la lutte politique à Téhéran, l’amour qui se vit sous les draps tendus et le bruit des balles, la prison, l’exil en Turquie jusqu’à l’immigration dans la banlieue parisienne d’où le couple ne repartira jamais.


En bon funambule, l’acteur et aujourd’hui réalisateur, a réussi à maintenir cet équilibre subtil entre un humour toujours tendre et jamais lourd –  chargé même de poésie lorsque les rebelles se trouvent confrontés à leur pire ennemi : leurs femmes ou leurs petites ridicules – et des moments où la douleur se dit sans pudeur mais sans aucun voyeurisme. Pendant toute la première partie, le segment Téhéran-Istanbul, ce voyage d’une vie plonge le spectateur dans une joyeuse schizophrénie : un œil pleure encore lorsque l’autre rit déjà et leurs larmes se rejoignent quelque part dans la région morveuse qui trahit leur émotion, tout ça se perdant dans sa gorge déployée sans trêve !

La partie française était plus risquée pour un public du cru. En effet, on connait mieux l’exotisme de la Seine Saint-Denis, ces coins ignorés des guides touristiques et qui s’invitent de force dans les actualités lorsqu’y débordent des crues que la France sait le produit d’un réchauffement d’une nature, lui, indéniablement anthropique. Allait-on nous refaire le coup du vivre-ensemble miraculeux où chacun supporte le bruit et les odeurs des autres dans un joli métissage sans accrocs ? Nous faire la poésie des cages d’escaliers qui puent la pisse dans les quartiers de Stains ? Non. C’est moche, c’est déprimant, des crétins y détruisent leur centre culturel, on aime en sortir… mais on ne risque pas la torture. Alors on y vit, on se supporte, on essaye de se parler et dès lors que trois minutes gentillettes nous mènerait sur le terrain vague du discours lénifiant, le drame ressurgit, l’Iran encore, le passé de chacun et puis, quoi, on continue quand même, n’en déplaise aux apôtres de la guerre civile. Africains, Ultramarins, Arabes ou Perses n’en sont pas moins des étrangers les uns pour les autres parce qu’une cité peu radieuse les convie à rester ensemble, les Français “d’origine(s)”, ceux né en France, ont un peu (beaucoup) honte de leurs parents immigrés, on sait qu’on ne repartira jamais mais que son histoire vient de plus loin – c’est comme ça, autant prendre ça avec distance et humour. Kheiron traine ses personnages de drame en drame, d’espoir en doute, avec ce petit détachement chaplinesque dans le regard et une grande complémentarité avec Leïla Bekhti, impressionnante en femme avec qui on n’aimerait pas négocier, sinon sa main. Il nous mène avec plaisir, sans messages ni lourdeur pédagogique, jusqu’au bout de cette tranche de petite histoire rafraichissante, mais d’histoire vécue (photos à l’appui), sélective sans doute, mais pas moins vraie. Et vous aurez le choix du boire du thé à la menthe, un petit punch coco, du redbull ou de l’alcool en sortant de la séance, pour vous


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