Un petit tour au Festival d’Avignon Off 2010

Ce week-end fut l’occasion d’un petit tour dans le Vaucluse pour assister aux marges du Festival d’Avignon, c’est-à-dire à quelques uns parmi le millier de spectacles rassemblés sous l’étiquette de « festival off », qui se jouent pendant trois semaines dans et autour de l’ex-résidence des Papes. Dans une joyeuse agitation où chaque troupe essaye d’attirer le public1 à coup de tracts parfois inventifs2, de petites représentations sous forme de teasers destinés à vous donner envie de franchir la porte de leur théâtre, de performances drôles, bruyantes, rafraîchissantes3 ou cool4, la ville résonne de mille sollicitations diverses et variées et il y en a tellement qu’on en oublie… Mais la concurrence est la plupart du temps saine et l’offre si variée que tout un chacun peut y trouver son bonheur.

Toujours est-il qu’avec toute cette énergie et cette créativité manifestée, on se demande par quelle bassesse entêtée les artistes français s’attachent régulièrement à aller quémander des budgets auprès des pouvoirs politiques qu’ils détestent et se plaisent à railler, alors que des centaines de solutions alternatives pour financer leur passion sont imaginables et que le temps passé à frotter les manches de tel ou tel rond de cuir – bienheureux arrogant doté du petit pouvoir de décider (de quelle autorité ?) ce qui méritera d’être financé ou pas – distributeur de l’argent du contribuable, serait bien mieux occupé autrement. On annonce la fin du Ministère la Culture – l’Art serait-il en passe d’être sauvé ?

En attendant, nous avons ainsi pu assister à une représentation des Monologues du vagin d’Eve Ansler, que j’ai apprécié, bien servis par trois actrices très complémentaires, Isabelle Aubret et Maïmouna Gueye étant tout de même un ton au dessus de Séverine Ferrer dont on peut sans doute plus être conquis par la beauté que par son jeu d’actrice, probablement plus approprié pour des spectacles pour enfants. Le texte est tout en contrastes, tantôt drôle ensuite émouvant, rapide puis s’attarde sur une histoire, très léger et tout d’un coup profond. Féminin sans être (lourdement) féministe, intime sans être voyeuriste ni tomber dans l’humour graveleux, je fus heureux de voir que les dix ans de succès de la pièce n’ont pas été usurpés. Le lendemain nous nous sommes laissés emporter par l’humour du jeune Jeremy Ferrari, dans Allelujah, Bordel !. Sans d’être d’une originalité folle, l’acteur arrive tout de même à exciter les zygomatiques pendant une bonne heure sans temps morts, mêlant ficelles faciles5 mais efficaces et faits divers aussi réels que grotesques. Franchissant le pas de portes ouvertes qu’il n’est cependant pas toujours facile de passer soi-même6 et le tout avec un peps suffisant pour qu’on n’ait pas assez de temps de trouver de quel humoriste il est en train de s’inspirer, l’heure passe vite et vaut sans regret la dizaine d’euro déboursée.

Le temps d’une petite marche et c’est pour Mon colocataire est une garce, de Fabrice Blind et Michel Delgado, que nous fîmes la queue, les extraits entendus sur Rire et chansons nous ayant donné envie d’entendre la totalité de la pièce. Vaudeville bon teint, les rires furent faciles mais la frontière du mauvais goût n’étant jamais trop longtemps dépassée, nous pûmes nous laisser aller sans honte devant les malheurs de Hubert, vieux célibataire troublé par le retour inopiné d’une copine de collège, très bien incarné par Yann Guillarme (et ce, même si son jeu et son physique ressemblent beaucoup à Simon / Farrugia de la Cité de la peur), quand bien même, malheureusement, sa jeune partenaire, n’ayant pas la même présence que lui, ralentit un peu le rythme. Après cette petite parenthèse de théâtre bourgeois et sans prétention, le pire nous attendait. Arrivés en sueur dans un restaurant reconverti pour l’occasion en théâtre de poche, pour s’entendre dire que notre réservation n’avait pas été prise en compte, nous fûmes tour à tour heureux de faire finalement partie du public puis dépités par l’insondable vacuité de ce que nous proposa Alfred Dumont. D’une affligeante bêtise niveau cours de récré de collège, bien que l’homme ait une gueule à la Tom Waits, un zeste de talent et une voix, son Alfred Dumont va tout faire exploser …à 18h25, consternant dès les premières minutes, avec des gags tombant à plat avec la délicatesse d’un obèse se vautrant grassement d’un plongeoir trop haut pour lui, nous fit fuir dès le quatrième sketch. Entre humour potache et divertissement abrutissant, ersatz de Patrick Sébastien pour le côté animation de camping une étoile ou de Sim pour l’autodérision exhibitionniste d’un corps de cauchemar, je ne pus m’empêcher de mépriser les quelques personnes hilares se prêtant à cette idiotie, et de sentir comme une fraternité avec tous les autres, traits tirés et regards éberlués, désolés d’assister à ce naufrage en direct sans pouvoir intervenir. Bref, que le garçon fasse écrire ses textes par quelqu’un d’autre et se contente de les interpréter, ce qu’il parait savoir faire, s’il ne veut pas que le ridicule, ou un spectateur se sentent insulté par ce qu’on ose lui proposer, ne finisse par le tuer…

Et après le pire, heureusement le meilleur de la journée, ou le best of de Gustave Parking, nous attendait dans un cinéma devenu l’espace de quelques semaines un théâtre7. Mais c’est à suivre

[Texte initialement publié dans La Catallaxine, le 29 juillet 2010]

B.O.B.

Babx – Charles Baudelaire

Notes

  1. « Le Bois de Boulogne de la culture », selon Gaspard Proust.
  2. Merci à certaines compagnies pour les marque-pages, c’est très pratique !
  3. Une jeune fille vient vous asperger d’eau pendant que vous mangez, puis quelques secondes plus tard vous en découvrez la raison : « Après la pluie » de Sergi Belbel se joue en ville.
  4. Comme Xavier Lacouture, tranquillement installé dans une chaise longue qui affiche « Artiste au travail : ne pas déranger », mais vous tend tout de même un tract pour son one-man-song.
  5. Lorsqu’il commente la lecture littérale de la Bible ou du Coran, revient sur catholicisme et pédophilie, nous fait du Desproges en évoquant le nazisme et les juifs.
  6. Notamment concernant l’Islam puisqu’on ne sait jamais quel taré ça ne va pas faire rire.
  7. Il est d’ailleurs étonnant que ce ne soit pas plus souvent le cas hors festival… non ?